Langages


Bjedug : la langue du Mythe

"Bjedug" veut dire langue des tribus caucasiennes.

Ce titre BJEDUG nous parle des cultures archaïques qui ont exploré sans relâche les chemins infinis de la parole. A l'époque où les livres n'étaient pas d'usage pour la transmission, à l'époque où les mythes se racontaient 1000 fois, oralement, de génération en génération.
A cette époque, raconter était un talent, un qualité artistique reconnue, cette façon de dire était charnelle, sensorielle, polymorphe.

Pour raconter les Héros Nartes, la parole sensée ne suffit pas : le cri, l'animalité, la glossolalie, le langage inventé, musicalisé, l'écho, la résonance, les sons se mêlent aux plaintes, aux noms des héros, afin de mieux voir, sentir, toucher, ce qui est d'ordinaire inaccecible.

la voix du récit suit un rythme dictée par la prononciation des mots et de l'énergie en cours.

la voix est aussi là pour donner du poids, donner un impact singulier, où étirer l'espace du voyage.

Ainsi la musique reprends ses droits sur la forme originelle des récits mythologiques : elle donne à entendre ce fameux souffle sacré par la volupté et l'effroi, elle fait voyager le public avec le regard du sommeil.

Yôko Higashi et Myriam Pellicane offrent un récit qui est comme un jeu vaudou mêlé d'enfance, un récit de guerrier où les genres, les cultures, les postures fusionnent et touchent au scandale jubilatoire, celui nécessaire à la pensée et à l'épanouissement..

Pour entendre ce récit, il faut se donner, s'abandonner, plonger, quitte à tout oublier...



Quelques noms des héros du spectacle :

Satana : petite fille née dans la tombe de sa mère, son père est l'Archange Uastirji. Grande magicienne.

Dzerassae : fille de Dombettyr, le génie des eaux, femme poisson, colombe, mère des jumeaux Urysmaeg et Hamytz.

Syrdon : Fils de Gatag le génie des vents, bâtard et ancêtre de Nasr Eddin Hodja, cousin du dieu Loki dans les mythes nordiques.


voici une impro de Yôko Higashi et de la petite fille Kyo MH sur le morceau de Syrdon, les histoires de Bedug fascinent étrangement les enfants, avec leurs aventures folles et leurs noms à coucher dehors! vous entendrez ici Kyo prononcer : URYZMAEG ! Bjedug est un spectacle étonnant à ne pas rater!

https://soundcloud.com/yokohigashi/improvisation-song-for-a-wednesday-night-by-hamayoko?utm_source=soundcloud&utm_campaign=share&utm_medium=facebook


Le Mythe et la Musique par Claude Levi Strauss

Le mythe et la musique opèrent selon les occurrences ( auspices, cette fois ci, hasard, incident, rencontre, occasion).... c'est un rythme qui perfore et crée du vide, bouche les trous, saute, redouble le temps, anticipe ou rattrape avec du retard, exprime les parties muettes ou inénarrables.
Les sons parlent de cette multitude d'émois et de répits, d'attentes trompées et de récompenses au delà de l'attente.
Mythe et musique nous poussent à franchir l'insurmontable et le contradictoire par des moyens merveilleusement imprévus.



Avec la musique, les mots se libèrent des codes et des règles pour s'attacher à la circulation d'énergie, à l'expérience sensible. Comme l'écriture chinoise, ce qui se dessine est indépendant des significations intellectuelles, une histoire est "un véhicule".

L'origine d'un mythe est impossible à trouver.
Les mythes n'ont pas d'auteur, quelque soit leur origine réelle, ils n'existent qu'incarnés.

Chaque auditeur reçoit une histoire qui ne vient à proprement parler de nulle part : c'est la raison pour laquelle on leur assigne une origine surnaturelle.




Extrait de la déesse Parole, une étude de M.DETIENNE et G.HAMONIC 

Ces extraits parlent du spectacle , de sa forme et de ses intentions :

"Le langage du mythe est souvent désagréable à l'oreille. Il arrive parfois en "direct différé".
La voix est rauque, sa tonalité est parfois plus guerrière que la langue du conte.
Elle peut être en rupture, passer sans raison par une voix cassée ou une voix de tête.
Elle est organique, sauvage ou douce.

 La voix du mythe parle du "regard du sommeil", elle est animale, parfois invisible.

C'est une parole gourmande : elle articule comme quand on mange.

Dans le caucase, le conteur se place dans le ciel, sur une lance, que les nartes appellent le perchoir.
Ils porte parole comme on porte un enfant, ils sont voués à l'enfantement verbal.

Contrairement aux pratiques religieuses, la voix du conteur est féminine.
Elle est par essence dangereuse.
C'est une voix performante, productrice de textes, de rites, d'images à voir.
Une voix pleine et repue, une paroles chargée de trouble.
Elle passe par nos organes et auusi le souffle.

Le langue du mythe est en quelque sorte la langue des Dieux qui "s'abîme" en paroles.  
C'est une transe sereine et maitrisée.
La transe signifie se baigner dans les mots divins ou inconnus.

la langue du mythe passe de la parole ordinaire au langage sublime, de la musique à la poésie, du récit au rituel.


*******



Chez les Ossètes la parole est la voix du sacré : la question qui attend un enseignement, la douleur propre à créer une réaction salutaire : le fouet ( on pense naturellement au fouet sacré du griot ou conteur africain , c’est vrai ! )

La parole est un art de la guerre c'est l'arc.
 
La parole est aussi celle de l'économie, de l'information, la parole banale : Compter, conter!

la résultante des trois est la liberté donnée au conteur.




Dumézil a observé ceci sur le Vase de Voronèje.
Ce vase, chez les Nartes, est le révélateur :
Cette coupe magique se porte elle même aux lèvres du héros, s'il se vante d'exploits véridiques.

Commentaires :

La parole s'engage à ne pas être ordinaire, mais religieuse, ou mythique, ou du moins solennelle et incontestable.
En déclinant le mot "vac", "wac" chez les Nartes, Dumézil est tenté de traduire : prière, louange, célèbrer éternellement, le mythe impliquant une croyance, incantation, malédiction.
c'est la voix du rituel : fixé d'avance, elle s'impose.

IL se pose ensuite la question: comment la voix est elle guerrière ?
C'est dans l'arc et dans la flèche que la voix choisit de se manifester. 
Vac revendique comme son oeuvre la bataille elle même. 
Elle est énergie, force, ardeur, clameur, injures, appels, gémissements.
C'est aussi la musique qui tue, la rumeur qui monte du champs de bataille, bruits mécaniques des coups, des chutes, des coups.
Hennissements inarticulés des chevaux ( à l'inverse de la parole sacré très articulée ), les épées qui chantent..........

Dumézil cite la redoutable musique que déchaîne, en se relâchant, la corde tendue.





Extrait du livre des héros, la légende des Nartes
traduit de l'ossète, publié et commenté par Georges Dumézil chez Gallimard
point de départ du spectacle Bjedug ainsi que Contes Barbares de l'Ossétie du Nord





                 le son des guerriers : ici le carnyx, archéologie celtes




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire